jeudi 6 avril 2017

Enter the Matrix

J’ai beau me dire que je ne devrais pas parler de ces choses-là, que ma place est ailleurs, il y a parfois des thèmes qui me hantent, qui tournent dans ma tête pendant des jours et que je ne peux en quelque sorte exorciser qu’en les jetant sur papier, en leur donnant une forme écrite. Un peu comme la genèse de mes autres écrits, ces choses étranges et informes qui flottent à la limite de ma conscience, qui me poursuivent jour et nuit, dont je ne peux me libérer qu’en leur donnant la forme de nouvelles ou de romans. Maintenant, vous connaissez mon secret.

Aujourd’hui, je me sens donc forcé de vous inviter à entrer dans la Matrice, ce monde fictionnel que les Wachowski (frères ou sœurs, on ne sait plus trop) ont magistralement porté à l’écran dans leur film The Matrix.

Tout est parti d’un coup d’œil jeté récemment à ma fiche de paie. Drôle d’endroit me direz-vous pour entrer dans la Matrice, on s’attend plutôt à des pilules de différentes couleurs mais ma fiche de paie fera l’affaire.

Entrons dans le vortex


La fiche de paie est importante car elle représente environ, et dans le meilleur des cas, un tiers de votre vie active. Huit heures par jour en moyenne si l’on compte le temps de transport. Souvent plus. Un autre tiers est consacré à réparer les dommages subis par votre corps durant la journée (le sommeil) et il vous reste un tiers environ durant lequel vous êtes libre de faire ce qu’il vous plaît. Donc un tiers de votre vie vous appartient, le reste est consacré à générer l’énergie nécessaire à votre survie. Bien évidemment certains ont fait de leur boulot le centre de leur existence et d’autres ne travaillent pas du tout mais je prends un exemple type du citoyen lambda qui travaille pour « gagner sa vie », un des rouages de la société sans laquelle elle ne pourrait pas fonctionner. En effet, tout travail honnête fait partie de la vie d’une société et elle ne pourrait exister sans elle. Donc le travail, sous toutes ses formes, est un des principaux moteurs de survie de l’espèce humaine.

Pour en revenir à ma fiche de paie, la première chose que j’ai notée était que lorsque mon employeur me versait une certaine somme d’argent, il en donnait exactement le même montant à l’État et à ses partenaires sociaux, publics ou privés, sous forme de cotisations et assurances diverses. Pour faire simple, lorsque mon employeur me verse un salaire net de mille euros, il paie en fait le double. Donc mon travail vaut pour lui deux mille euros mais il ne m’en verse que la moitié. Le reste part en part patronale de cotisations diverses et en retenues du même acabit prises sur mon salaire brut.

En résumé, je ne touche en fait que 50% de mon vrai salaire. Bien évidemment, certaines de ces retenues affectent mon propre futur (cotisation retraite et assurance maladie) mais cela ne représente qu’un faible pourcentage du total. Je ne parle même pas du chômage parce que je cotise depuis 42 ans environ et je ne l’ai jamais touché, même durant les quelques mois où j’étais moi-même sans emploi, à cause de je ne sais quelle règle qui disait que je n’y avais pas droit. Passons. Quant à la Sécu, elle est tellement en faillite malgré les sommes astronomiques versées chaque mois qu’elle ne rembourse pratiquement plus rien et qu’il faut souscrire des assurances privées (mutuelles) pour espérer une couverture décente des frais médicaux.

Mais bon, je ne veux pas faire une critique de la société, simplement explorer le domaine de la Matrice qui est devant nos yeux et que nous ne voyons pas.

Donc, je touche 50% de mon salaire réel, le reste finançant les retraites, la santé, le chômage et les frais de l’État en général. Bien.

Sur ces mille euros qu’il me reste, je dois encore payer des impôts. Entre impôts sur le revenu et impôts locaux, je dois reverser 10% de mon revenu net. Il me reste 900 euros. Avec lesquels je vais naturellement financer mes besoins personnels, que ce soit en nourriture, logement et entretien, divertissement, vêtements, soins du corps, besoins de ma famille et autres. C’est mon argent, ma petite part de liberté, investie principalement, sur un salaire moyen, pour ma survie à court et moyen terme et celle de ma famille. J’arrive peut-être à économiser un peu d’argent que je mets de côté, généralement à la banque (les mordues de lecture n’économisent évidemment rien). Vous me suivez toujours ? Très bien.

Disons, pour les besoins de cette réflexion, que je dépense intégralement les 900 euros qu’il me reste pour les différents besoins de la vie. Quand je vais acheter quelque chose ou payer quelqu’un, l’État va encore prélever des taxes sur cet argent. La TVA, pour commencer. 5.5% pour les livres mais 20% pour la plupart des biens et services. Mes 900 euros vont donc encore générer des taxes quand je les dépense, disons 180 euros sur les biens courants. Ensuite le commerçant ou prestataire à qui je vais acheter ces biens va devoir à son tour payer des impôts, verser des salaires à ses employés (sur lesquels on va prélever des cotisations), acheter des trucs sur lesquels il va lui aussi payer la TVA, etc.

Au final, après une série de transformations de la sorte, l’intégralité de mes 900 euros va revenir sous diverses formes à l’État et à ses organismes sociaux. Tout mon travail, toute la richesse marchande que je peux produire (tant que je reste dans le cadre du revenu moyen par habitant), va en fait servir à nourrir la machine d’État. Même quand j’achète quelque chose à manger, je nourris la machine. Je ne suis en fait qu’une source d’énergie que la Matrice pompe constamment pour assurer sa propre survie. Un élément de la Matrice que l’on recycle en permanence en y injectant à petites doses un carburant appelé « argent » afin qu’il continue à faire tourner les rouages. Sans aucun moyen d’y échapper.

La faille dans le système


Vous reconnaîtrez l’analogie des êtres humains utilisés comme « piles » pour la Matrice centrale qui se contente de leur diffuser du rêve pour leur faire croire qu’ils ont encore une vie.

Une pensée plutôt flippante, mais c’est un peu ma spécialité. Heureusement, le système a une faille. Il existe encore une fenêtre de liberté. C’est une fenêtre qui ne peut être que difficilement fermée par la Matrice parce que c’est de cela précisément que sa survie dépend.

Cette faille, c’est ce premier tiers. La Matrice ne craint ni le tiers du sommeil ni celui de la survie et des loisirs. Elle peut influer sur nos habitudes de vie, d’alimentation, de culture, de loisirs, de reproduction même, mais elle peut difficilement s’ingérer dans ce qui la nourrit, notre travail, sans se détruire elle-même. La faillite du Communisme et de la nationalisation des entreprises l’ont démontré. Il convient de laisser une certaine liberté dans le travail ou la société (ou l’entreprise) s’effondre par manque de participation. Le travail reste le dernier espace libératoire. Pour preuve, en priver un homme, c'est le priver de toute dignité et valeur dans la société.

C’est étrange de le dire ainsi, à croire que je fais l’apologie du travail. Pas forcément. On peut très bien contribuer à la société sans forcément être rémunéré pour cela. On peut être bénévole, femme ou homme au foyer, vagabond-philosophe ou artiste qui ne vend rien et apporter sa pierre à la société sans être directement payé en retour. Mais la vérité est que c’est souvent par son travail qu’un homme (ou une femme) change la société. Dans la recherche, la pensée, l’humanisme, la science, la philosophie, la religion même, et j’en passe.

L'étroite fenêtre de liberté


Il faut reconnaître le fait que, à moins de devenir de purs esprits, des êtres de lumière n'ayant aucun besoin matériel, nous ne sommes qu’un rouage de la Matrice dont le seul rôle est de la nourrir par notre travail. Et faire de son travail personnel, de cette étroite fenêtre de liberté, l’instrument de transformation de la Matrice vers un modèle plus humain. C’est, à mon humble avis, la seule porte de sortie de la Matrice. Opter pour un boulot qui réponde à vos aspirations, qui fasse avancer d’une manière ou d’une autre la société dans laquelle vous vivez, qui puisse inspirer d’autres rêves et d’autres horizons que ceux dans lesquels la Matrice s’acharne à nous enfermer.

Drôle de conclusion. Mais, à part aller m’exiler sur une île déserte et vivre de la nature, je n’en vois pas d’autres. Et vous ?

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