En tant qu’auteur de thrillers et d’anticipation, je
m’intéresse parfois à l’actualité non pas pour son caractère sensationnaliste
mais pour essayer de décrypter les signes avant-coureurs de dérives qu’il
convient de dénoncer avant qu’elles ne se réalisent pleinement, si c’est
humainement possible. L’auteur, et l’artiste en général, ne doit pas, ne peut
pas être celui qui enfouit sa tête dans le sable en attendant que ça passe ou
que quelqu’un d’autre fasse quelque chose. Il est, avant tout, celui qui
regarde et qui décrit ce qu’il voit. Cassandre parfois, mais, s’il est honnête
avec lui-même, il surmontera les railleries et les attaques pour décrire une
Troie en flamme là où les autres ne voient qu’une cité prospère et
orgueilleuse.
L’actualité, donc, est un mot qui désigne aujourd’hui non
pas la réalité qui nous entoure mais une activité qui s’efforce à nous montrer,
au travers de différents prismes déformants (suivant le côté de la barrière où
l’on est assis), ce qu’il se passe de plus atroce dans le monde. Et donc de
ramener toute cette atrocité dans notre salon afin de faire de nous les témoins
impuissants de toutes ces horreurs. Car le propre de l’actualité est de porter
le message de : « C’est arrivé, il est trop tard, vous ne pouvez rien
y changer. »
Suite à quoi nous aurons droit à un défilé d’autorités
diverses qui nous assureront qu’ils s’occupent de tout, qu’ils ont le contrôle
de la situation et que, s’il est trop tard aujourd’hui pour faire quoi que ce
soit, ils seront là demain pour s’assurer que cela ne se reproduise pas. Le Mal, bien évidemment, c'est l'Autre et nous vous en protègerons. Nous
voilà rassurés.
Si vous ne me croyez pas, sortez votre poste de télé du
grenier et regardez n’importe quel journal télévisé. Atrocité, menace,
réassurance. C’est la formule universelle.
J’ouvre une parenthèse, maintenant que vous êtes plongés
dans une position de spectateur passif, pour un interlude publicitaire qui
démontre clairement qu’en utilisant le parfum Dégel pour Homme, non seulement
vous aurez la même odeur qu’un narcissiste célèbre mais en plus vous aurez une
voiture de sport, et une très belle femme aux cheveux flottants dans le vent va
vous tomber dans les bras. Je ferme la parenthèse.
Cela ne veut pas dire que ces atrocités n’existent pas ou qu’elles
ne sont pas importantes. La vérité cependant, c’est que pour chaque vie gâchée
par un fou quelque part, des milliers de vies sont sauvées dans le même laps de
temps par des gens de bonne volonté qui font leur boulot. Médecins, infirmiers,
éducateurs, ingénieurs, secouristes, pompiers, agent de la circulation, le paysan
qui travaille la terre pour nous nourrir, et j’en passe. Ces faits-là, bien entendu, ne
seront jamais évoqués dans les « actualités ». Ces statistiques, vous
ne les verrez jamais. On vous parlera des gens morts sur une table d’opération
mais jamais des vies sauvés. Ces actes là sont beaucoup, beaucoup plus nombreux.
La fourmi à l’éléphant, si ce n’est plus. Et les seuls paysans que vous verrez aux
« actualités » brandiront des fourches en criant « mort aux citadins ».
La raison pour laquelle vous n’entendrez jamais parler de
ces faits positifs de l’actualité (la vraie) est qu’ils ne véhiculent pas le
bon message. Dans le jargon du journalisme, « ce n'est pas vendeur ». Ils disent, en substance, « Vous pouvez faire quelque chose.
En fait, des milliards de gens tous les jours, et vous inclus probablement,
faites chaque jour quelque chose de positif pour la survie de l’humanité. Et
si on soutenait ces gens-là, les choses iraient rapidement beaucoup mieux pour
tout le monde. » Pas vendeur comme message, et pourquoi aurions-nous besoin de l’autorité
pour nous protéger (et, accessoirement, ordonner des conflits avec des gens qui nous ressemblent mais qui eux aussi regardent leurs « actualités ») si nous pouvions régler tous ces problèmes entre nous ?
Bien évidemment, il y a un piège. Un jour, à force de nous
isoler et de nous conforter dans le rôle de spectateur impuissant, cette « actualité »
viendra frapper à notre porte. De quelque côté de la barrière que nous soyons. Nous regarderons autour de nous pour le soutien
de toutes ces autorités qui « maîtrisaient la situation ». Bien sûr,
il n’y aura personne. Parce que toutes ces promesses n’étaient que du vent.
Les vrais héros, les gens du quotidien, ceux dont dépend notre salut, la survie de nos enfants et le futur de l’humanité, nous n’aurons
jamais vu leur visage à la télé, nous ne les reconnaîtrions pas si nous les
croisions dans la rue. Et pourtant ils sont là, juste à côté de vous, ils vous
regardent peut-être même le matin dans votre miroir. La vraie actualité, c’est
eux, c’est vous, à chaque heure de chaque jour. Ce sont eux qui construisent le
monde et qui le maintiennent en place, qui le réparent quand une poignée de fous s'acharnent à le détruire, pendant que, sur l’écran de télé que
personne ne regarde plus, des petites marionnettes agitent frénétiquement des
images d’horreur pour essayer de nous dépouiller de notre vraie valeur et de notre liberté de voir, de penser et d'agir.
Merci Patrick pour ce message qui va droit au but. Je fais suivre. (Monique)
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