dimanche 10 décembre 2017

Polar, thriller, nordique ou roman noir – une étude en noir, rouge et blanc

Quelle est la différence entre le roman policier, le thriller et le roman noir et où se situe le polar nordique dans tout ça ? C’est une question que je vois fréquemment circuler parmi les cercles de lecteurs et je me suis dit qu’en tant qu’auteur du genre, je pouvais peut-être amener un regard un peu différent des autres articles sur le sujet. Parce qu’amener un regard différent, c’est tout à fait dans ma ligne de travail.


 

Où l’on parle de tension, d’objectif et de conflit.

 

Un roman, quel qu’en soit le genre, repose généralement sur un système de tension. C’est l’élément essentiel pour que le lecteur soit aspiré dans l’histoire. En l’absence de tension, l’ennui et les « longueurs » prendront place. Sauf si c’est le but avoué du roman, c’est-à-dire transcrire l’ennui, l’absence de tension nuira au plaisir de lecture. Bien évidemment, il peut également y avoir trop de tension, ce qui engendrera un autre genre de lassitude. Disons donc une tension bien dosée, ni trop ni trop peu.

L’autre système est celui d’identification, c’est-à-dire qu’au moins un des personnages du roman doit avoir des objectifs précis auxquels le lecteur ou lectrice peut adhérer. Si les personnages n’ont pas d’objectifs clairs et désirables, il n’y aura pas d’identification. En d’autres mots, si l’on n’a aucun objectif commun avec le héros, l’héroïne ou tout autre protagoniste du roman, on ne se sentira pas impliqué dans l’affaire et l’intérêt sera moindre. Un exemple extrême de cela est lorsque les objectifs du protagoniste sont tellement à l’opposé des nôtres qu’on voudra absolument qu’il échoue. Donc l’objectif peut être très désirable ou absolument indésirable mais il doit exister.

La tension naît généralement d’un conflit. Pour qu’il y ait tension, le personnage principal (ou les personnages principaux dans les sagas) doit se heurter à un antagoniste, quelqu’un ou quelque chose qui l’empêche d’atteindre ses objectifs (cela peut également être lui-même lorsque le protagoniste combat sa peur, son passé, ses démons ou autres). Mais il doit y avoir une force qui s’oppose au personnage et cette force doit absolument lui être supérieure. Il n’y a pas de conflit si les protagonistes sont de force égale ou si le héros est plus fort que le méchant. Le parcours du héros va donc être de surmonter cette force supérieure qui lui est opposée, soit en opérant une transformation sur lui-même, en suivant une initiation et/ou en gagnant d’autres forces à sa cause. Les scénarios sont multiples.

Donc objectif et conflit sont les deux éléments qui vont permettre de faire naître la tension nécessaire.
Il y a un autre élément qui entre en jeu, qui est celui de l'évasion, qui fait qu’on cherche dans le roman des situations qu’on ne pourrait pas ou ne voudrait pas forcément vivre nous-mêmes. Les gens ne cherchent pas ouvertement les conflits, ils ont plutôt tendance, dans leur grande majorité, à les éviter. C’est là qu’entre la dimension romanesque, c’est-à-dire quelque chose qui nous arrache du quotidien sans pour autant quitter le confort de notre propre vie.

Ceci posé, passons à l’application de ces principes au roman de genre.

Le roman policier

 

 La question est de savoir quel est l’élément principal qui caractérise le roman policier. Le système d’objectif et conflit est propre à tous les genres donc ce n’est pas une définition suffisante. D’un autre côté, je ne connais pas beaucoup de gens dont l’objectif dans la vie est d’aller chasser les criminels. Sauf si on est flic, on préfère en général éviter ce genre de situation. Par contre, beaucoup ont un sens de la justice et de la vérité. Les médias savent exploiter cela car ils écrèment au maximum les crimes non résolus. Une fois que l’assassin est arrêté, l’affaire disparaît des actualités et, semble-t-il, de l’intérêt du grand public. Par contre, on parle encore des crimes commis il y a trente, cinquante ou cent cinquante ans où l’on n’a pas mis un nom sur le coupable. Il suffit de la moindre rumeur de nouveaux éléments permettant de dénouer l’affaire pour que la machine se remette en marche, même lorsque les malheureuses victimes sont depuis longtemps oubliées.

Il me semble que c’est cela qui donne son attrait au roman policier, cette quête de justice et de vérité. Les gens ne sont pas à l'aise en face d’énigmes, de cas non-résolus. Ils veulent savoir. Le roman policier corrige cela. Il met le lecteur dans la position du solveur d’énigmes criminelles.

L’un des éléments qui confirme le fait que le lecteur endosse l’habit du justicier est le succès des personnages récurrents d’enquêteurs. Maigret, Sherlock Holmes, Poirot et les autres sont le costume taillé sur mesure que le lecteur aime à endosser et où il se sent le plus à l’aise. C’est très dominant dans le roman policier, cette récurrence du personnage principal sur un nombre illimité de romans sans que le lectorat ne se lasse, au contraire. On voit beaucoup moins cela dans les autres genres.

L’objectif, donc, est que justice soit faite. On ne se soucie pas du sort du coupable une fois arrêté, les juges pourraient tout aussi bien le remettre en liberté comme ils le font souvent. Non, l’important est qu’il soit identifié et confronté à son ou ses crimes. Et en général, le roman policier va avoir trois ou quatre victimes pour maintenir la tension et augmenter le plaisir de coincer le coupable.

Et c’est encore mieux si c’est non seulement une surprise, mais quelqu’un que l’on connaît bien. Certains auteurs ont développé cela comme un système, il suffit de déterminer qui est le personnage secondaire le plus innocent et le plus sympathique pour connaître le meurtrier. Il y a donc un second élément d’identification dans le roman policier : pour qu’il fonctionne il faut qu’il y ait une part d’identification, au minimum de familiarité, avec le coupable. Ça en dit long sur notre désir inconscient, mais c’est une autre histoire.

Donc, fatalement, le tueur doit être révélé et coincé à la fin, c’est un élément clé du roman policier, sinon on entre dans un autre genre que nous verrons plus bas.

Le thriller

 

Alors que le roman policier met le lecteur dans la position du justicier, le thriller, lui, le met dans la position de la victime. Parfois à travers les yeux du tueur, mais les gens ne lisent pas les thrillers pour assouvir des pulsions sadiques (pas la majorité, en tout cas), mais pour se faire peur.

C’est donc un genre très différent, même si les histoires peuvent paraître similaires. Ce qui est important dans le thriller est de mettre le lecteur dans la position de la victime et de lui faire vivre toutes les émotions fortes que peut éprouver la proie. Roman policier = chasseur, thriller = proie.

Un simple retournement de point de vue. Bien sûr, pour que ça marche, il faut que le tueur soit aussi effrayant que possible. Un sadique absolu, un tueur en série dépeceur de femmes, cannibale ou un truc comme ça.

Parfois le thriller mélange les deux genres, comme dans Seven, où c’est le chasseur qui devient la proie. Ça marche aussi. Ou c’est la proie qui devient le chasseur. Les combinaisons sont multiples.
L’important, c’est de mettre le lecteur dans la position de la proie et de lui procurer tous les frissons qui peuvent en découler. L’objectif du lecteur est d’éprouver un maximum d’émotions fortes sans se mettre lui-même en danger.

Je ne suis pas un grand lecteur de thrillers, j’ai beaucoup de mal à les finir parce que l’auteur tue systématiquement les personnages les plus sympathiques, je ne suis donc pas certain du sort réservé au tueur in fine. Je suppose que c’est généralement une mort atroce pour compenser dans un sursaut d’adrénaline les violences subies en cours de lecture. Mais je ne suis pas un spécialiste, je comprends le genre mais je ne m’y suis pas personnellement aventuré en tant qu’auteur.

Le roman noir

 

La différence fondamentale entre le roman noir et le roman policier est que l’antagoniste est le monde dans lequel évoluent les protagonistes. C’est la société, en quelque sorte, qui est coupable et cela affecte tous les personnages du roman. Les flics sont ripoux, les femmes sont fatales, les investigateurs sont alcolos et fauchés, les victimes ne sont jamais innocentes. Quant aux tueurs, ils pourraient tout aussi bien de ne pas exister, tout ce petit monde baignant dans la fange peut très bien se débrouiller sans eux. S'ils existent, il sont tellement protégés qu'on ne peut même pas les toucher.

Le roman noir, c’est l’expression d’un certain désespoir face à une force qu’on n’a aucune chance de vaincre, où tout le monde est perdant. L’objectif est de ne pas totalement succomber, d’essayer de trouver un rayon d’espoir dans cette mélasse, si minime et éphémère fut-il.

Ce n’est pas le genre de lecture qui va forcément vous remonter le moral mais plutôt, d’une certaine manière, vous endurcir. Et faire resurgir certaines valeurs que la société n’arrivera jamais à corrompre, comme de petits diamants au milieu de la boue.

Le polar nordique

 

Le polar nordique, qui s’est développé comme un genre à part entière, est une forme hybride entre le polar et le roman noir où l’antagoniste principal est le rude climat nordique et la façon dont il influence le comportement des personnages.

Le polar nordique, c’est d’abord le froid, la neige, les lacs gelés, les tempêtes de glace, la mer grise et glaciale. C’est une ambiance où l’environnement lui-même est sans cesse en train d’essayer de vous tuer. Je suppose qu’à l’autre extrême on pourrait voir un genre de littérature se développer dans le désert. Ça existe un peu dans la littérature américaine mais si les Touaregs se mettaient à écrire des polars, on verrait sans doute un nouveau genre émerger. Ou les natifs de la jungle amazonienne.

Cet environnement hostile et assassin a forgé l’âme des Scandinaves, qui sont des gens charmants mais assez peu démonstratifs. Dans un environnement aussi menaçant, le moindre débordement de gestes ou d’émotions peut vous tuer. Quand on marche sur la glace, il faut avancer lentement, éviter les gestes trop amples, ne pas paniquer. D’où le rythme lancinant de ces romans, les nombreux non-dits, les gens qui dissimulent qui ils sont réellement, les cabanes isolées au milieu d’un désert de glace. C’est un écheveau qu’il faut démêler lentement, sans gestes trop brusques, et en faisant toujours très attention où l’on met les pieds. En gardant à l’esprit que la tempête vous guette en permanence pour vous entraîner dans les bras glacés de la Mort.

Voilà, j’espère que cet essai vous sera utile, en tant que lecteur ou en tant qu’auteur. L’essentiel étant de connaître les codes du genre pour pouvoir jouer avec. Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste de la question, je vous donne simplement mon point de vue d’auteur et j’espère que cela vous sera utile, ou au moins vous aura diverti.

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