« Tu sais qu'il
existe des pays où les enfants n'ont jamais vu la neige ?
J'interrompis mon somme
avec un grognement. Déranger un ours pendant sa sieste n'est pas très poli et
c'est pire quand c'est pour dire des bêtises.
— Qu'est-ce que tu
racontes, Snoui ? Jamais vu la neige ? Ce n'est pas possible !
Snoui le flocon se
comportait de manière étrange ces derniers temps. Il passait ses journées
perché sur une branche de sapin, refusant de jouer à boules de neige avec les
enfants. C'était pourtant bientôt Noël, la saison favorite des flocons.
— Je t'assure. C'est
Oscar qui m'en a parlé. Il voyage beaucoup.
Je reniflai un bon coup,
essayant de garder mon sang-froid. Oscar était un bonimenteur de première, comme
tous les canards. Il n'arrêtait pas de nous saouler avec ses récits de voyage.
— Faut pas croire les
canards, Snoui. Ce sont tous des menteurs.
Snoui resta silencieux,
ses yeux de flocon perdus dans le vide et je me dis qu'il était grand temps de
reprendre ma sieste. Assez perdu de temps avec ces fadaises.
— J'aimerais tant voir
l'Afrique, tu sais.
Je me retins de grogner.
Je venais juste de fermer les yeux !
— Y a pas de neige en
Afrique, Snoui.
— Je sais. Justement.
Paraît qu'ils ont des girafes qui ont le cou si long que leurs têtes touchent
les nuages.
Qu'est-ce que cet idiot
de canard était allé lui fourrer dans le crâne ? Des girafes qui touchent
les nuages ! Snoui n'était pas bien futé, c'était un flocon après tout,
mais c'était mon ami. Si je croisais ce volatile de malheur, les plumes
allaient voler !
— T'es pas bien ici,
Snoui ? Il fait super froid, les nuits sont longues, les pentes glissantes
et tout est couvert d'un blanc manteau douillet. La belle vie, quoi ! T’as
pas besoin d’aller voir des girafes.
Snoui secoua sa tête de
flocon, faisant voler de minuscules gouttes d'eau glacée.
— Chais pas. Je m'ennuie
à vrai dire. Tous les ans c'est la même histoire. J'aimerais faire quelque
chose de nouveau, découvrir d'autres endroits.
— Mais enfin, tu ne
pourrais pas survivre un seul jour si tu partais d'ici. T'es qu'un flocon, tu
n'as ni griffes ni fourrure.
Snoui ne voulait pas en
démordre. Il divaguait au sujet de cocotiers, de baobabs ou je ne sais quoi. Il
ne restait qu'une chose à faire.
— Allons voir le chef,
suggérai-je. Je suis sûr qu'il pourra... hum... te donner des conseils.
Le chef, c'était le
bonhomme de neige. Il était là depuis la nuit des temps et ne faisait rien de
ses journées, se contentant de tirer sur sa pipe en contemplant les montagnes
au loin. Il avait le temps de méditer, lui n'avait pas besoin de chercher du
miel à manger ou un trou douillet pour dormir.
Nous partîmes Snoui et
moi vers le centre du village, là où trônait le bonhomme de neige. Autour de
nous les enfants glissaient sur des luges avec des cris de joie. Je jetai un
coup d'œil à mon compagnon mais il ne semblait pas les voir. Ça me brisait le
cœur. Maudit canard...
Le chef ne dit rien
pendant un long moment. J'avais clairement expliqué que tout cela c'était des
histoires de gallinacés et exposé les dangers d'une telle expédition mais je
n'étais pas certain qu'il m’ait entendu ou qu’il fut conscient de la gravité de
la situation. Il restait là, à hocher la tête en tirant pensivement sur sa pipe
de bruyère pendant que Snoui et moi attendions une réponse.
Finalement, je sentis que
Snoui me secouait. J'avais dû m'endormir, un ours a besoin de son sommeil,
voyez.
— Vite ! Nous devons
trouver Gisèle ! Dépêche-toi !
Gisèle ? Qu'est-ce
qu'une oie venait faire dans cette histoire ?
— Si, je t'assure. C'est
le chef qui me l'a dit. Gisèle peut m'emmener. Mais il faut se dépêcher !
Le chef ? Je n'avais
rien entendu. Est-ce qu'il essayait de me rouler ?
— Tu dormais. Elle part
tous les ans en Afrique. Vite, il ne faut pas la manquer !
Je me mis en route après
lui. J'avais du mal à suivre, mes pattes étaient encore engourdies après mon
petit somme. Snoui, lui, virevoltait dans le vent d'hiver en chantonnant. Bah,
si ça le rendait heureux, après tout... Je n'allais pas lui dire que ça faisait
longtemps que Gisèle ne volait plus, vu son grand âge.
La vieille oie nous
accueillit dans sa cabane près du lac et nous servit une boisson faite d'herbes
sauvages et d'épines de sapin tout en écoutant Snoui exposer son projet. Sa
tisane était imbuvable mais je me gardais bien de me plaindre, les oies sont
connues pour être très susceptibles. Je dois pourtant dire que Gisèle, sans
doute à cause de son grand âge, semblait très patiente avec mon ami flocon.
— Mon petit, finit-elle
par répondre, cela fait bien longtemps que je n'ai pas migré aussi loin. Mes
rhumatismes, tu vois, et je n'ai plus la vigueur de mes dix ans. Je t'aurai
bien présenté une oie plus jeune mais elles sont déjà toutes parties.
Voilà, c'était plié.
Enfin quelqu'un de raisonnable. Bon, ben, nous n'avions qu'à retourner dans la
forêt nous amuser, manger et dormir. Mais Snoui n'en démordait pas. Il insista
tant que la vieille oie finit par céder. Je n'en croyais pas mes
oreilles !
— Bah, tu as peut-être
raison, annonça-t-elle. Et puis, ça me plairait bien de revoir l'Afrique.
Réchauffer mes vieux os, me baigner une dernière fois dans les eaux
translucides du lac Tanganyika...
Est-ce que tout le monde
avait perdu l'esprit ! Mais Snoui avait l'air si heureux, que pouvais-je
dire ? J'avais fait ce que j'avais pu...
Le jour du départ vint et
je redoublais de conseils pour mon jeune ami.
— N'oublie pas de mettre
ton bonnet, ton écharpe et tes moufles. Faudrait pas que t'attrapes froid en
volant au-dessus des nuages.
J'étais comme une mère
poule au départ de ses poulets. Snoui monta sur le dos de l'oie et me fit de
grands signes après le décollage. J'attendis qu'ils aient disparu dans le ciel
pour essuyer une larme.
Les semaines passèrent
sans que nous ayons de nouvelles. Noël vint et s'en alla, l'hiver devint plus
froid encore. Je me faisais à l'idée que je ne reverrai sans doute jamais mon
ami flocon. Jusqu'au jour où je vis arriver Oscar le canard, tout excité.
J'allais lui dire deux mots lorsqu'il agita un bout de papier sous mon museau.
— Regarde ! Il a
neigé sur le Sahara !
Les ours ne lisent pas,
ça ne sert à rien pour trouver du miel, mais les canards sont instruits dès leur
plus jeune âge à lire les cartes et les panneaux, sans ça ils ne pourraient
jamais retrouver leur chemin. Je ne voyais néanmoins pas ce qu'il trouvait
d'excitant à ce qu'il neige quelque part.
— Tu ne vois pas,
ballot ! Le Sahara, c'est un désert d'Afrique ! La neige, ils
n'avaient jamais vu ça ! Je suis sûr que c'est lui, c'est Snoui.
Encore un bobard de
canard. Ce volatile de malheur savait que j'étais à deux doigts de lui tordre
le cou, alors il inventait des histoires à dormir debout. Je l'envoyais
promener, lui et son bout de papier.
Quelques jours plus tard,
je reçus pourtant une carte postale. C'était nouveau, personne ne m'écrivait
jamais. Ou alors....
Je courus chez Denise la
chouette, c'était la plus instruite de la forêt et je n'allais pas demander à
ce menteur de canard. Elle tourna la carte dans tous les sens pendant que
j'attendais, tout essoufflé.
— Ça vient de Snoui. Il
dit qu'il a trouvé la plus haute montagne qu'on ait jamais vue, en plein cœur
de l'Afrique. L'endroit idéal pour s'installer, avec plein d'enfants qui n'ont
jamais vu la neige.
Elle me rendit la carte
postale. Dessus, on voyait une montagne au pic couvert de neige, surplombant
une steppe avec des arbres comme je n'en avais jamais vu et une girafe au long
cou dont la tête semblait toucher les nuages.
— Qu'est-ce qu'il y a
écrit sur l'image ? demandais-je.
— Kilimandjaro. C'est le
nom de la montagne. Mais c'est la première fois que j'entends parler de neige
en Afrique.
Je souris. Peut-être
qu'au printemps, quand les oies reviendraient, elles pourraient me donner des
nouvelles de mon ami. Parce que j'étais certain qu'il ne reviendrait pas avec
elles. Les flocons, ça disparaît au printemps, mais pas sur le pic de la plus haute
montagne d'Afrique.
Bon, c'est l'heure de ma
sieste. Je vais bien dormir, mon cœur au chaud de savoir que mon ami Snoui a
enfin trouvé ce qu'il cherchait et que, grâce à lui, il y a aujourd'hui de la
neige en Afrique.
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