mardi 15 avril 2025

Snoui, le flocon qui voulait voyager

« Tu sais qu'il existe des pays où les enfants n'ont jamais vu la neige ?

J'interrompis mon somme avec un grognement. Déranger un ours pendant sa sieste n'est pas très poli et c'est pire quand c'est pour dire des bêtises.

— Qu'est-ce que tu racontes, Snoui ? Jamais vu la neige ? Ce n'est pas possible !

Snoui le flocon se comportait de manière étrange ces derniers temps. Il passait ses journées perché sur une branche de sapin, refusant de jouer à boules de neige avec les enfants. C'était pourtant bientôt Noël, la saison favorite des flocons.

— Je t'assure. C'est Oscar qui m'en a parlé. Il voyage beaucoup.

Je reniflai un bon coup, essayant de garder mon sang-froid. Oscar était un bonimenteur de première, comme tous les canards. Il n'arrêtait pas de nous saouler avec ses récits de voyage.

— Faut pas croire les canards, Snoui. Ce sont tous des menteurs.

Snoui resta silencieux, ses yeux de flocon perdus dans le vide et je me dis qu'il était grand temps de reprendre ma sieste. Assez perdu de temps avec ces fadaises.

— J'aimerais tant voir l'Afrique, tu sais.

Je me retins de grogner. Je venais juste de fermer les yeux !

— Y a pas de neige en Afrique, Snoui.  

— Je sais. Justement. Paraît qu'ils ont des girafes qui ont le cou si long que leurs têtes touchent les nuages.

Qu'est-ce que cet idiot de canard était allé lui fourrer dans le crâne ? Des girafes qui touchent les nuages ! Snoui n'était pas bien futé, c'était un flocon après tout, mais c'était mon ami. Si je croisais ce volatile de malheur, les plumes allaient voler !

— T'es pas bien ici, Snoui ? Il fait super froid, les nuits sont longues, les pentes glissantes et tout est couvert d'un blanc manteau douillet. La belle vie, quoi ! T’as pas besoin d’aller voir des girafes.

Snoui secoua sa tête de flocon, faisant voler de minuscules gouttes d'eau glacée.

— Chais pas. Je m'ennuie à vrai dire. Tous les ans c'est la même histoire. J'aimerais faire quelque chose de nouveau, découvrir d'autres endroits.

— Mais enfin, tu ne pourrais pas survivre un seul jour si tu partais d'ici. T'es qu'un flocon, tu n'as ni griffes ni fourrure.

Snoui ne voulait pas en démordre. Il divaguait au sujet de cocotiers, de baobabs ou je ne sais quoi. Il ne restait qu'une chose à faire.

— Allons voir le chef, suggérai-je. Je suis sûr qu'il pourra... hum... te donner des conseils.

Le chef, c'était le bonhomme de neige. Il était là depuis la nuit des temps et ne faisait rien de ses journées, se contentant de tirer sur sa pipe en contemplant les montagnes au loin. Il avait le temps de méditer, lui n'avait pas besoin de chercher du miel à manger ou un trou douillet pour dormir.

Nous partîmes Snoui et moi vers le centre du village, là où trônait le bonhomme de neige. Autour de nous les enfants glissaient sur des luges avec des cris de joie. Je jetai un coup d'œil à mon compagnon mais il ne semblait pas les voir. Ça me brisait le cœur. Maudit canard...

Le chef ne dit rien pendant un long moment. J'avais clairement expliqué que tout cela c'était des histoires de gallinacés et exposé les dangers d'une telle expédition mais je n'étais pas certain qu'il m’ait entendu ou qu’il fut conscient de la gravité de la situation. Il restait là, à hocher la tête en tirant pensivement sur sa pipe de bruyère pendant que Snoui et moi attendions une réponse.  

Finalement, je sentis que Snoui me secouait. J'avais dû m'endormir, un ours a besoin de son sommeil, voyez.

— Vite ! Nous devons trouver Gisèle ! Dépêche-toi !

Gisèle ? Qu'est-ce qu'une oie venait faire dans cette histoire ?

— Si, je t'assure. C'est le chef qui me l'a dit. Gisèle peut m'emmener. Mais il faut se dépêcher !

Le chef ? Je n'avais rien entendu. Est-ce qu'il essayait de me rouler ?

— Tu dormais. Elle part tous les ans en Afrique. Vite, il ne faut pas la manquer !

Je me mis en route après lui. J'avais du mal à suivre, mes pattes étaient encore engourdies après mon petit somme. Snoui, lui, virevoltait dans le vent d'hiver en chantonnant. Bah, si ça le rendait heureux, après tout... Je n'allais pas lui dire que ça faisait longtemps que Gisèle ne volait plus, vu son grand âge.

La vieille oie nous accueillit dans sa cabane près du lac et nous servit une boisson faite d'herbes sauvages et d'épines de sapin tout en écoutant Snoui exposer son projet. Sa tisane était imbuvable mais je me gardais bien de me plaindre, les oies sont connues pour être très susceptibles. Je dois pourtant dire que Gisèle, sans doute à cause de son grand âge, semblait très patiente avec mon ami flocon.

— Mon petit, finit-elle par répondre, cela fait bien longtemps que je n'ai pas migré aussi loin. Mes rhumatismes, tu vois, et je n'ai plus la vigueur de mes dix ans. Je t'aurai bien présenté une oie plus jeune mais elles sont déjà toutes parties.

Voilà, c'était plié. Enfin quelqu'un de raisonnable. Bon, ben, nous n'avions qu'à retourner dans la forêt nous amuser, manger et dormir. Mais Snoui n'en démordait pas. Il insista tant que la vieille oie finit par céder. Je n'en croyais pas mes oreilles !

— Bah, tu as peut-être raison, annonça-t-elle. Et puis, ça me plairait bien de revoir l'Afrique. Réchauffer mes vieux os, me baigner une dernière fois dans les eaux translucides du lac Tanganyika...

Est-ce que tout le monde avait perdu l'esprit ! Mais Snoui avait l'air si heureux, que pouvais-je dire ? J'avais fait ce que j'avais pu...

Le jour du départ vint et je redoublais de conseils pour mon jeune ami.

— N'oublie pas de mettre ton bonnet, ton écharpe et tes moufles. Faudrait pas que t'attrapes froid en volant au-dessus des nuages.

J'étais comme une mère poule au départ de ses poulets. Snoui monta sur le dos de l'oie et me fit de grands signes après le décollage. J'attendis qu'ils aient disparu dans le ciel pour essuyer une larme.  

Les semaines passèrent sans que nous ayons de nouvelles. Noël vint et s'en alla, l'hiver devint plus froid encore. Je me faisais à l'idée que je ne reverrai sans doute jamais mon ami flocon. Jusqu'au jour où je vis arriver Oscar le canard, tout excité. J'allais lui dire deux mots lorsqu'il agita un bout de papier sous mon museau.

— Regarde ! Il a neigé sur le Sahara !

Les ours ne lisent pas, ça ne sert à rien pour trouver du miel, mais les canards sont instruits dès leur plus jeune âge à lire les cartes et les panneaux, sans ça ils ne pourraient jamais retrouver leur chemin. Je ne voyais néanmoins pas ce qu'il trouvait d'excitant à ce qu'il neige quelque part.

— Tu ne vois pas, ballot ! Le Sahara, c'est un désert d'Afrique ! La neige, ils n'avaient jamais vu ça ! Je suis sûr que c'est lui, c'est Snoui.

Encore un bobard de canard. Ce volatile de malheur savait que j'étais à deux doigts de lui tordre le cou, alors il inventait des histoires à dormir debout. Je l'envoyais promener, lui et son bout de papier.

Quelques jours plus tard, je reçus pourtant une carte postale. C'était nouveau, personne ne m'écrivait jamais. Ou alors....

Je courus chez Denise la chouette, c'était la plus instruite de la forêt et je n'allais pas demander à ce menteur de canard. Elle tourna la carte dans tous les sens pendant que j'attendais, tout essoufflé.

— Ça vient de Snoui. Il dit qu'il a trouvé la plus haute montagne qu'on ait jamais vue, en plein cœur de l'Afrique. L'endroit idéal pour s'installer, avec plein d'enfants qui n'ont jamais vu la neige.

Elle me rendit la carte postale. Dessus, on voyait une montagne au pic couvert de neige, surplombant une steppe avec des arbres comme je n'en avais jamais vu et une girafe au long cou dont la tête semblait toucher les nuages.

— Qu'est-ce qu'il y a écrit sur l'image ? demandais-je.

— Kilimandjaro. C'est le nom de la montagne. Mais c'est la première fois que j'entends parler de neige en Afrique.

Je souris. Peut-être qu'au printemps, quand les oies reviendraient, elles pourraient me donner des nouvelles de mon ami. Parce que j'étais certain qu'il ne reviendrait pas avec elles. Les flocons, ça disparaît au printemps, mais pas sur le pic de la plus haute montagne d'Afrique.

Bon, c'est l'heure de ma sieste. Je vais bien dormir, mon cœur au chaud de savoir que mon ami Snoui a enfin trouvé ce qu'il cherchait et que, grâce à lui, il y a aujourd'hui de la neige en Afrique.

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