samedi 7 janvier 2017

La guerre des étoiles n’a pas eu lieu - Un essai sur la fiction narrative

Que Jean Giraudoux me pardonne cet emprunt racoleur, ça fait quelques jours que me trotte dans la tête cet essai sur l’univers de la « Guerre des étoiles » de George Lucas. Et plus particulièrement sur le fait que, pour être accepté du plus grand nombre, il semblerait qu’il soit nécessaire de s’écarter dramatiquement de la vérité politique et historique. Une déformation qui n’est pas sans rappeler la façon dont nous réinventons notre propre Histoire.

Comme le dit le proverbe africain : « Aussi longtemps que les lions n’auront pas d’historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur. »

Construire un monde de fiction demande un travail considérable, si l’on veut bien faire les choses. Tolkien a mis trente ans pour concevoir et écrire « Le seigneur des anneaux », GRR Martin travaille sur son « Trône de fer » depuis 28 ans et n’a pas encore fini la saga, Lucas a mis treize ans pour sortir la première trilogie de « La guerre des étoiles ». Cela explique peut-être pourquoi nous avons si peu de classiques cycles romanesques prenant place dans leur propre univers. Ça prend beaucoup de temps.

Malgré cela, l’univers construit pour la « Guerre des étoiles », en dépit du succès planétaire qu’il a rencontré ( ou peut-être justement en est-ce la cause ) est un tissu d’invraisemblances qui n’a pratiquement aucune logique dans le monde tel que nous le connaissons. Il semblerait d’ailleurs que cet extrême manque de logique soit la clé même de sa réussite, car la prélogie sortie quelque quinze ans plus tard a essayé de rectifier certains illogismes et s’est misérablement plantée.

Est-ce parce que nous sommes tellement habitués au fait que notre propre Histoire soit, comme le disait Napoléon, « une suite de mensonges » que seul ce genre d’épopées rocambolesques peut trouver grâce à nos yeux ?

Entendons-nous bien. J’aime cette saga et je n’ai pas manqué un seul épisode. Je n’ai absolument rien à lui reprocher. Lucas a positivement révolutionné le genre du « Space opéra » au cinéma. Mais c’est justement parce qu’elle représente ce que l’Homme a fait de mieux dans le genre jusqu’à présent que je trouve intéressant qu’elle soit bourrée d’invraisemblances fondamentales sur la nature même de l’Homme et son évolution naturelle. Ce qui n’empêche en rien le fait qu’elle touche la plupart d’entre nous comme si elle faisait partie de notre propre histoire.

Je vais donc parler de la première trilogie, que j’ai eu l’occasion et le plaisir de revoir dans son intégralité il y a quelques jours. Pour rappel, la Guerre des étoiles se déroule il y a très longtemps, dans une galaxie très, très lointaine…


 L’Homo Sapiens est et restera l’espèce dominante dans le cosmos.


Il va sans dire que l’Homo Sapiens a dominé, domine et dominera toute galaxie où il mettra le pied. Et spécialement l’Homo Sapiens de race caucasienne, surtout chez les méchants. C’est un peu normal dans une production terrienne et hollywoodienne, et vue la technologie d’effets numériques de l’époque, néanmoins il est intéressant de noter que les « bons » sont alliés à d’autres espèces et races, que ce soit des poissons humanoïdes, des Wookies ( croisement entre le chien domestique et le singe ), maître Yoda ( une mignonne bestiole verte ) ou des Ewoks, des oursons en peluche.

Adopt an Ewok, anyone?
Ça part sans doute d’un bon sentiment de « fraternité cosmique » chez les gentils ( à condition bien sûr que les autres espèces ne soient pas plus menaçantes que des animaux de compagnie ) mais c’est assez peu probable.

Il suffit de regarder notre histoire pour comprendre que l’Homme asservira ou anéantira toute autre espèce, race, peuple ou tribu un tant soit peu différente. Qu’on se souvienne des Indiens d’Amérique. Si les colons ont dû importer des Africains pour leur servir d’esclaves, c’est parce que les Indiens ont refusé ce rôle. D’où la nécessité de leur extermination. L’Homme ne tolérera pas de partager quoi que ce soit avec une autre espèce ou race à pied d’égalité. Il est donc assez étrange de voir qu’il existe dans cette galaxie très lointaine d’autres espèces intelligentes qui n’aient pas été soient anéanties, soit réduites à l’esclavage par les humains.

Si les extra-terrestres se tiennent à l’écart de notre planète, je vous assure qu’il y a une raison. Donnez à l’Homme les moyens de voyager dans l’espace et c’est la fin des haricots pour toute autre forme de vie intelligente.

Donc une histoire où l’Homme vit en bonne entente avec d’autres espèces qui n’aient pas été réduites au rôle d’animal domestique ou de gibier est bien entendu pure fiction.

Je ne dis pas que ce ne soit pas désirable ou que ce soit logique. Ça n’est simplement jamais encore arrivé dans l’histoire de l’Humanité telle que nous la connaissons.

L’étoile de la mort ? Sérieusement ?


Je ne sais qui décide des stratégies militaires dans l’Empire ( les méchants ) mais ils ne sont visiblement pas au niveau.

Posséder une force militaire et un armement supérieur est certainement utile pour se saisir du pouvoir mais aucune conquête ne peut se faire en détruisant tout sur son passage. Comme le disait Sun Tzu, « Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie. » Déployer des armes de destruction massive et en faire usage sans avoir une bonne excuse pour le faire est le plus sûr moyen de se mettre à dos toutes les autres puissances alentours en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « troisième Reich ».

Pour bâtir un « empire qui durera mille ans », il faut invoquer un motif inattaquable qui empêchera les autres peuples de se liguer contre vous et de vous détruire immédiatement. Les Romains avaient la pax romana, la paix romaine, l’assurance qu’ils protégeraient les peuples qu’ils soumettaient des autres peuples qui les menaçaient. Nous vous envahissons pour vous protéger. Qui pouvait s’opposer à cela ? Cette même idée a permis à l’Empire romain de survivre près de mille ans après la chute de Rome.

Plus près de nous, les Américains ont pu se permettre d’atomiser deux villes pleines d’hommes jaunes sans que personne n’y trouve à redire. Pourquoi ? Parce que c’était apparemment un acte de légitime défense. Il a fallu une série de grossières erreurs militaires de la part des Américains pour en arriver là, mais n’oublions pas que le projet Manhattan avait débuté dès 1939, soit presque trois ans avant le début du conflit sino-américain. Avoir une arme de destruction massive est utile d’un point de vue dissuasif mais il est suicidaire de l’utiliser sans une longue campagne de propagande au préalable pour justifier son usage.

Dans la même veine, les Américains ont pu se permettre de pratiquement détruire l’Irak ( qui ne leur avait rien fait ) après le 11 septembre et personne n’a bronché. Nous leur avons même apporté notre soutien. C’est une question de timing et de ne pas donner l’impression d’attaquer mais de riposter.

Conséquemment, l’Empire décidant d’utiliser son nouveau joujou de destruction massive trois secondes après qu’il soit opérationnel et d’anéantir une planète innocente, c’est la recette idéale pour liguer le reste de la galaxie contre eux. Pas vraiment brillant au niveau stratégique.

Comme le disait Sun Tzu, « [Dans l’art de la guerre] Le plus important est le peuple. Obtiens sa confiance et son soutien et tu obtiendras tout ce que tu voudras. »

Un empire galactique sans média, télévision, publicité, ni journalistes ?


Demandez à tous les dictateurs, prendre le pouvoir est aisé, c’est le conserver qui est difficile. Pour cela, vous devez contrôler et manipuler l’information et utiliser ses canaux pour votre propagande. Aucun pouvoir ne peut perdurer sans cela.

Il n'y arrivera pas seul - engagez-vous!
L’absence de journalistes, de télévision, de livres, de magazines, de panneaux publicitaires dans cette galaxie très, très lointaine est très étonnante, voire bizarre. Comment l’information circule-t-elle et qui la contrôle ? Qui se charge d’expliquer à la populace ce qu’il faut penser, qui sont les "bons" et les "méchants" ?

Prenez la lutte contre les « rebelles ». Pourquoi leur donner le nom de « Résistance » ? Aux yeux du pouvoir, ce ne sont pas des résistants mais des « terroristes », et les canaux d’informations sous le joug de l'Empire devraient marteler le même message. Tout le monde devrait être au courant de leurs exactions, réelles ou imaginaires, de façon à ce qu’ils ne puissent trouver de soutien nulle part dans la galaxie. La propagande est une arme bien plus létale et plus efficace que toutes les flottes interstellaires, mais semble totalement inconnue, en même temps que la pub ou les divertissements, dans cette civilisation ayant atteint le stade d’évolution du voyage interstellaire.

Bien évidemment, personne ne veut voir des gens oisifs vautrés dans des fauteuils à lévitation à regarder des hologrammes à longueur de journée, d'où le choix d'avoir une civilisation qui est au niveau du moyen-âge en ce qui concerne sa vie quotidienne malgré tous ses progrès technologiques.

Un Empire sans base de repli ?


Ce n’est qu’un détail, mais l’Empire ne semble pas avoir de planète(s) mère. Il se contente de flotter dans l’espace à bord de destroyers ou de lunes artificielles mobiles. À la base, ce n’est pas une mauvaise idée, parce qu’il reste ainsi insaisissable, omniprésent. Personne ne peut aller détruire ou conquérir sa planète source pour s’en débarrasser. Donc c’est un point qui, s’il est illogique, n’en est pas moins intéressant du point de vue dramatique. Ça n’en reste pas moins assez peu crédible ou réalisable.

Une armée d’occupation sans espions ?


Une fois de plus, je dois faire appel à Sun Tzu : « Une armée sans espion est comme un corps sans yeux et sans oreilles. » Il est évident que dans sa lutte contre la rébellion, l’Empire aurait eu plus de succès à planter quelques espions en son sein plutôt que construire, je suppose à grands frais, des étoiles de la mort pour détruire des planètes au hasard en espérant tomber sur la bonne. Qui les finance ? On n’a pas vu un tel gaspillage de fonds depuis l’invention de l’impôt sur le revenu.

On ne se débarrasse pas de la vermine ( de leur point de vue ) en mettant le feu à la maison. Il doit y avoir un proverbe chinois ou africain dans ce sens.


Les chevaliers mystiques périront sous le feu de ceux qu’ils essaient de protéger.


Un point d’Histoire qui est respecté dans cette saga est que toute caste de chevaliers mystiques ( les Jedis ) prônant le détachement des biens terrestres sera éventuellement chassée par tout le monde. C’est tout à fait vrai et ce ne sont pas les chevaliers cathares qui me contrediront. En cela, George Lucas a vu juste. Une race supérieure en pouvoirs mais inférieure en nombre sera obligée de vivre dans la clandestinité pour ne pas être totalement éliminée par la majorité. Peu importe que ces mêmes chevaliers Jedis aient été les garants de la Paix dans la galaxie, etc., ils finiront massacrés et haïs de tous.

Quelle leçon faut-il en tirer ?


Il me semble que, si ses scénaristes avaient fait preuve de la moindre logique, la saga de « La guerre des étoiles » n’existerait pas ou n’aurait pas rencontré le succès planétaire qu’elle a eu. Nous avons eu d’autres œuvres magistrales de SF telles « Blade Runner », « Alien », « Terminator », « Matrix » ou « Starship Troopers » qui ont connu un succès plus ou moins grand mais aucune qui puisse se comparer à cette saga. Probablement parce que les œuvres citées nous renvoient une image peu flatteuse de nous-mêmes, de nos rapports avec les autres espèces, du pouvoir de la propagande sur nos actes, du fait que les intérêts financiers finiront par laisser notre propre technologie nous détruire plutôt que renoncer aux profits immédiats.

La fiction est un miroir de la réalité et il existe toutes sortes de miroirs. Instinctivement, nous préférerons le miroir aux sorcières, celui qui nous rassurera sur le fait que nous n’avons rien perdu de notre jeunesse et de notre beauté. C’est tout à fait compréhensible.

Peut-être ce genre de fiction peut-il nous aider à envisager un futur meilleur. Un futur où les races et espèces vivront en harmonie au sein d’une République égalitaire et juste. Un futur où les méchants seront incapables de dissimuler leurs intentions maléfiques sous le couvert de la propagande et l’abrutissement des masses. C’est le futur que nous désirons tous et c’est le genre d’histoires que nous portons instinctivement aux nues.

Ou peut-être faut-il avoir le courage d’un George Orwell ou d’un Philip K. Dick et ne pas hésiter à tendre à l’Homme le miroir de la vérité pour l’aider à soulever le voile du mensonge et, peut-être, éviter qu’il ne se précipite à sa perte, les yeux tellement remplis d’étoiles imaginaires qu’il est incapable de voir le précipice qu’il est en train de creuser pour lui-même.

C’est un choix auquel tout auteur ou créateur se trouve confronté, un jour ou l'autre. Faut-il projeter une image idéalisée qui flattera le désir des foules d’échapper à la réalité et s’assurer ainsi un succès confortable et dénué de controverse ? Ou faut-il tendre un miroir sans fard et sans artifices ( et s’aliéner ainsi une grande partie du public ) pour, peut-être, aider l’homme à faire face à lui-même ? 

Une question fondamentale que m’inspire ce court essai sur l’improbable Guerre des étoiles.

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